RISOGRAPHE, MON AMOUR – Sigrid Calon
La communauté RISO regroupe des milliers d’aficionados du risographe (ou duplicopieur), une solution d’impression inventée en 1984 par RISO KAGAKU CORPORATION.
Des créatifs de tout poil – artistes, imprimeurs, illustrateurs… – se sont approprié cette technologie sans pareille qui sert de vecteur à l’expression de leur talent.
Nous sommes allés à la rencontre de ces « risographistes » passionnés qui nous ont (virtuellement, pandémie oblige) ouvert la porte de leurs ateliers.
Pour découvrir leurs univers, suivez le guide !
Sigrid Calon – Artiste, Pays-Bas
Comment avez-vous découvert la risographie ?
En 2006, j’ai été invitée par la maison de textile italienne Lanificio Leo à participer, avec une quinzaine d’autres artistes et designers, à un festival en Calabre. C’est là que j’ai rencontré les gens de Knust Press, pionniers de l’utilisation du risographe en Hollande. Là où nous étions, dans le sud de l’Italie, ils avaient apporté un vieux duplicopieur à pochoir qu’il fallait tourner à la main. Avec celui-ci, ils ont fabriqué une petite brochure. Ils avaient également dans leurs bagages un certain nombre de livres d’artistes qu’ils avaient réalisés par risographie. J’étais fascinée et inspirée par la beauté de la technique : l’éclat des couleurs qui sautaient véritablement aux yeux, l’aspect tactile… Je me suis dit alors que si jamais je faisais un livre, il faudrait que je contacte Knust.
Et c’est ce qui s’est passé ?
Pas exactement. J’ai effectivement envoyé quelques pages à imprimer par risographie à Knust en 2011 et j’ai adoré le résultat. L’année suivante, quand j’ai commencé à travailler sur mon premier livre (Dans la mesure de / | & – À l’intérieur de la grille et au-delà du schéma), je pensais donc encore en confier l’impression à Knust : à part eux, je ne connaissais personne qui possédait un risographe. À l’époque, je travaillais à Eindhoven où était également basée l’artiste Margriet Thissen. Margriet connaissait bien ma démarche artistique, elle savait mon goût pour le DIY, ma volonté de tout réaliser par moi-même. Elle m’a dit qu’elle allait travailler à la Jan Van Eyck Academie à Maastricht et qu’il serait intéressant que je vienne leur rendre visite parce qu’ils prévoyaient d’acheter une riso. J’y suis allée et c’est là que j’ai imprimé mon premier livre, toute seule.
Pouvez-vous revenir sur cette période ?
Le laboratoire n’était pas encore ouvert au public, aucun étudiant ne le fréquentait. Jo Frenken, chef du laboratoire d’impression de l’Academie, m’a donné la liberté de travailler comme je le souhaitais. À l’époque, le risographe était tout neuf, ni Jo ni moi ne savions nous en servir. Nous avons fait des essais et appris ensemble. Il nous a fallu être patients et endurants ! Mais j’avais tout l’espace pour moi, tout le temps qu’il me fallait. J’ai pris trois semaines pour faire des tests de couleur, puis j’ai passé tout l’été à travailler mes designs. En septembre, je venais chaque jour à Maastricht pour imprimer au labo. Il y avait des impressions dans tous les coins. J’ai adoré cette période. Quand j’y repense, c’était probablement une de mes périodes de création les plus heureuses.
Votre livre a connu un grand succès. Est-ce que cela vous a surprise ?
Oui, c’était une surprise totale. Dans l’année, mon livre était épuisé. Je ne me serais jamais attendue à un tel accueil, à des retours si positifs… C’était fantastique de réaliser que, dans les foires aux livres d’art aux quatre coins du monde, les gens comprenaient et appréciaient mon travail. Il y avait une vraie curiosité autour de la risographie, on me demandait de quoi il s’agissait, comment ça fonctionnait. C’était très inspirant. La réussite de ce livre m’a ouvert de nouveaux horizons, débouchant sur des collaborations entre autres avec Uniqlo1 à New York, avec Swatch2/3
Aujourd’hui vous avez votre propre risographe. Pourquoi ?
Très rapidement, dès 2013, j’ai réalisé qu’il serait sans doute mieux que je possède ma propre machine. Le risographe est assez petit pour que je puisse l’avoir dans mon studio, ce qui m’offre une totale indépendance, une véritable liberté de créer. C’est vraiment un énorme plus : je peux utiliser cet outil comme je le veux et prendre mon temps pour expérimenter. Sans parler de la brillance des couleurs, de la tactilité…
Combien de couleurs possédez-vous ?
J’ai commencé avec 8 couleurs, aujourd’hui j’en ai 15. Je ne veux pas en avoir trop. Je crois que c’est une très bonne chose de s’imposer des limites. Pour moi, les limites sont sources de liberté. Quand tout est possible, je ne sais pas par où commencer. Alors je me fixe des règles à suivre et c’est dans un cadre bien défini que je cherche à trouver où se terre la magie, que je travaille à créer de nouveaux langages visuels.
Vous employez certaines couleurs faites sur-mesure…
Oui, car je trouvais le bleu et le vert proposés par RISO trop sombres. La combinaison avec d’autres couleurs donnait toujours un résultat très foncé. Je leur ai donc demandé de me fabriquer un bleu et un vert plus clairs.
Comment utilisez-vous le risographe ?
Mes œuvres sont pensées et créées spécifiquement pour être réalisées sur une machine riso. Tout commence avec les ingrédients de base : les couleurs que j’ai choisies (full ink ou gradient), les mélanges de couleurs, les formes avec lesquelles je vais travailler… Je réalise des pages d’échantillons avec toutes les combinaisons de couleur à ma portée, c’est en quelque sorte ma palette. Puis je travaille de manière très intuitive, par itération. J’utilise Adobe Illustrator pour réaliser des essais jusqu’à ce que j’obtienne un résultat qui me satisfasse, quelque chose de fort, d’intéressant, de stimulant.
Votre art est très minutieux et géométrique. Que pensez-vous des imperfections inhérentes à l’utilisation d’un risographe ?
C’est essentiellement le repérage qui pose problème : chaque machine riso est différente, chaque tambour également. Les erreurs de repérage n’ont parfois aucun impact sur le travail réalisé. Parfois, le résultat est même très beau – au point qu’on pourrait être tenté de reproduire exprès cette imperfection (mais ce ne serait pas drôle). Dans mon travail
actuel, très précis et graphique, les erreurs de repérage sont parfois très frustrantes. Mais je crois qu’en bout de ligne, il faut apprendre à les aimer.
La technologie RISO est verte. Est-ce que cela a influencé votre adoption du risographe ?
Non mais c’est un heureux concours de circonstances. Toute la communauté RISO aime que ce soit une façon d’imprimer écolo. Le fait que cela nécessite peu d’électricité, qu’il s’agisse d’une impression à froid, avec des encres à base de soja, tout cela est très important aujourd’hui. Et les équipes au Japon sont toujours investies dans la R&D pour réduire l’empreinte carbone des machines. C’est fantastique !
Un mot sur votre contribution au Magical Riso Book ?
Comme je sais très bien me servir de la machine, je me suis donnée pour défi d’essayer de faire quelque chose de complètement différent. Je ne me suis pas du tout servie d’un ordinateur. J’ai tout fait de manière analogue, en manipulant les masters, en plaçant des plantes de mon jardin dessus, dessous, en expérimentant… Les visuels que j’ai créés vont peut-être déplaire aux gens car ils ne s’attendent pas à cela de moi. Peu importe, c’était très agréable de tenter quelque chose de nouveau. J’aime quand je me surprends moi-même