papier pour l'apprentissage
Dossier de fond

Le papier, support clé pour l’apprentissage

pictogramme feuille
9 octobre 2020

Nous vivons dans un monde qui se numérise à toute vitesse, un monde où les outils digitaux sont de plus en plus finement intégrés à notre quotidien.

Ces outils sont extrêmement puissants – les smartphones que nous avons dans nos poches aujourd’hui sont des millions de fois plus performants que l’ordinateur de la NASA1 qui a envoyé les premiers hommes sur la Lune – et révolutionnent nos vies. Il suffit de quelques clics pour accéder, depuis le confort de son domicile, à sa musique ou son film favori, consulter les médias de son choix, se renseigner sur le sujet le plus pointu, faire ses courses, participer à une conférence vidéo…

Les technologies numériques nous rendent bien des services, à tel point que certains considèrent déjà le papier comme obsolète. C’est vendre un peu vite la peau de l’ours. Car en matière  d’éducation et d’apprentissage, le papier reste roi.

Pour mieux comprendre un texte, lisez-le sur papier

Préférez-vous lire sur papier ou sur un écran ? À cette question, plus de 80 % des étudiants2⁠ sondés par Naomi Baron, professeure de linguistique à l’Université Américaine de Washington répondent « papier3⁠  ». Mieux, ils sont 92 % à considérer qu’il est plus facile de se concentrer sur un texte papier que sur un support digital. Selon Naomi Baron4⁠ , « le papier est fait sur-mesure pour nous aider à lire des textes longs, à nous concentrer, à saisir des concepts, à réfléchir sur le sens de ce qu’on vient de lire ».

C’est un fait5 scientifique⁠ confirmé par de nombreuses études : un texte est mieux compris lorsqu’il est lu sur papier qu’à l’écran. Comment expliquer cela ? Plusieurs facteurs semblent entrer en jeu.

Le premier, peut-être le plus évident, est l’absence de distraction lorsqu’on lit un livre papier.

Notre attention peut être sollicitée par tout un ensemble de sources externes : Internet, messagerie instantanée, médias sociaux… Il y a également la tentation de prendre des raccourcis de lecture, par exemple en faisant une recherche de mots clés pour aller directement à certains passages. On constate que les étudiants sont trois fois plus6⁠ susceptibles de faire plusieurs choses à la fois lorsqu’ils lisent sur écran.

Le papier a un autre avantage, qui apparaîtra évident à tous ceux qui ont un jour eu à lire un long document PDF sur leur ordinateur : il est beaucoup plus facile d’avoir une vue d’ensemble et de naviguer entre les pages d’un texte imprimé que d’un fichier électronique.

Mais est-ce pour ça qu’on comprendrait mieux ce qu’on a lu ? C’est ce que pense Anne Mangen7 de l’Université de Stavanger en Norvège.
« La facilité avec laquelle vous pouvez trouver le début, la fin et tout ce qui se passe entre les deux, […] le fait que votre progression dans le texte soit toujours claire, est probablement une façon de rendre la lecture moins éprouvante au niveau cognitif : votre cerveau peut se concentrer plus particulièrement sur la compréhension », indique-t-elle. De la même façon, le scrolling8⁠ – c’est-à-dire le fait de faire défiler le texte sur son écran – nuit à la lecture. Il faut se concentrer à la fois sur le texte et sur la façon dont on le fait bouger, ce qui demande des ressources mentales importantes.

“La facilité avec laquelle vous pouvez trouver le début, la fin et tout ce qui se passe entre les deux, […]”

Mais surtout, le livre est un objet physique, matériel, que l’on peut toucher, soupeser, manipuler et même sentir. Chaque livre est unique.
On ne lit pas un livre générique, on lit un livre particulier avec son design, son format, son poids, son odeur, sa texture de papier, sa police de caractères… Tous ces stimuli sensoriels et moteurs s’associent au contenu textuel du livre et participent à l’expérience de lecture. « Forme, couverture du livre, odeur, nombre et épaisseur des pages aident notre cerveau à intégrer les informations qui lui parviennent et à mieux les retenir dans la durée », écrit Frédéric Bernard⁠9 , maître de conférence en neuropsychologie à l’Université de Strasbourg. En revanche, la liseuse, la tablette, le smartphone ou l’ordinateur ne changent pas que l’on lise une nouvelle de Stephen King de cinq pages ou le dernier Harry Potter qui en fait plus de 800. Cela peut créer chez le lecteur ce qu’on appelle « une dissonance haptique », c’est-à-dire une difficulté à relier l’objet physique qu’il tient entre les mains (ici le matériel électronique) avec le contenu (le texte lu). Certains pensent10⁠ que cette dissonance est un des freins majeurs à l’adoption des liseuses.

Autre bénéfice clé de la matérialité du livre papier, sa fixité.

Un livre papier permet au lecteur de très simplement s’orienter dans sa lecture, dans un référentiel constitué d’une page de gauche et de droite, chacune dotée de quatre coins qui sont autant de points d’ancrage. « Quand on lit, on construit une représentation mentale du texte, explique le journaliste Ferris Jabr. La nature exacte de ces représentations reste floue, mais elles sont probablement similaires aux cartes mentales que l’on se fait des paysages ou des lieux de vie comme les bureaux et appartements ». Cette histoire de cartographie mentale vous semble un peu tirée par les cheveux ? Il y a pourtant toutes les chances que vous ayez déjà construit de telles cartes. En effet, nous avons tous une histoire d’interrogation écrite où une réponse nous échappait. Quand elle nous est enfin revenue en mémoire, c’était un souvenir visuel très vif : elle était, par exemple, encadrée en rouge dans notre manuel, en bas sur
la page de gauche, près d’une illustration.

C’est un fait : lire sur papier stimule les sens, ce qui en retour nous permet de mieux comprendre et de mieux apprendre. Le même phénomène est à l’œuvre lorsqu’on écrit à la main.

Les bienfaits de l’écriture manuscrite

Avec l’avènement de l’ordinateur portable personnel, des légions d’élèves, d’étudiants et de gens d’affaires ont délaissé la prise de note sur papier pour leur clavier et leur traitement de texte favori.

Ce n’est pas forcément une bonne idée, si l’on en croit Virginia Berninger, professeure à l’Université de Washington⁠11 : « Il existe un mythe selon lequel à l’ère des ordinateurs, nous n’aurions plus besoin d’écrire à la main. Ce n’est pas ce que montrent nos recherches. Nous avons constaté que les enfants jusqu’à 11-12 ans écrivaient plus de mots, plus vite, et exprimaient plus d’idées à la main que sur clavier ».

Et même si adolescents et adultes tapent en général plus vite à l’ordinateur qu’ils n’écrivent à la main, la vitesse ne fait pas tout.

Deux chercheurs américains, Pam Mueller et Daniel Oppenheimer12 , ont montré que les étudiants prenant des notes à la main comprennent et retiennent mieux leurs cours que leurs homologues sur ordinateur. Cela peut sembler contre-intuitif : après tout, puisqu’on tape plus vite qu’on n’écrit, le cours tapuscrit devrait être plus « complet » que le cours écrit. Mais c’est justement là le problème. Les étudiants sur ordinateur peuvent taper mot pour mot ce que dit leur professeur, tandis que c’est impossible pour ceux qui écrivent à la main. Pressés par le temps – l’écriture manuscrite est un processus lent – ceux-là sont obligés de comprendre ce qui est dit, de le synthétiser dans leur esprit et enfin d’en retranscrire sur le papier les concepts clés dans leurs propres mots. Autrement dit, prendre des notes à la main demande un traitement en direct des informations et donc un travail mental bien supérieur à la prise de notes sur ordinateur : c’est cela qui fait que l’on retient mieux.

Cette lenteur de l’écriture manuscrite est prisée par de nombreux écrivains. « Je préfère écrire à la main car je suis trop rapide au clavier : avec la machine à écrire ou l’ordinateur portable je vais trop vite pour les premiers jets, beaucoup plus vite que je ne le veux vraiment, et surtout beaucoup plus vite qu’il ne le faut pour écrire quelque chose de vraiment bon, confie le célèbre auteur américain John Irving. Écrire à la main me force à ralentir. Et cela permet de contrôler le style ».

En plus de donner le temps de la réflexion, écrire à la main stimule le cerveau.

La professeure Audrey Van der Meer, de l’Université Norvégienne de Science et Technologie, a examiné l’activité cérébrale de jeunes adultes et d’enfants pendant qu’ils écrivaient. Ses résultats sont sans appel13⁠ :
« Utiliser un stylo et du papier donne au cerveau plus de « crochets » sur lesquels fixer ses souvenirs, explique-t-elle. Écrire à la main crée bien plus d’activité dans les régions sensorimotrices du cerveau. De nombreux sens sont activés lorsque le stylo glisse sur le papier, quand vous voyez les lettres que vous écrivez et entendez les sons que fait votre stylo sur
la feuille. Toutes ces expériences sensorielles créent des points de contact entre les différentes parties du cerveau et ouvrent la voie à l’apprentissage. Non seulement on apprend mieux ce qu’on a écrit à la main, on s’en souvient mieux également ».

Écrire à la main est une tâche complexe qui demande une motricité fine, un mouvement particulier pour tracer chaque lettre, une façon bien précise de tenir son stylo :
il faut d’ailleurs aux enfants plusieurs années pour la maîtriser.

Édouard Gentaz, professeur en psychologie du développement à l’Université de Genève, met en avant le rôle de la « mémoire corporelle » dans l’apprentissage. « Certaines personnes ont du mal à lire après avoir eu une attaque, confie-t-il14.⁠ Pour les aider à se souvenir de l’alphabet, nous leur demandons de tracer la forme des lettres avec leur doigt.
Le geste permet souvent de faire réémerger le souvenir ».

Claire Bustarret, chercheur en anthropologie de l’écriture au CNRS, explique quant à elle15⁠ que le papier permet une plus grande liberté d’écriture : on peut écrire sans contrainte au recto ou au verso, entre les lignes, on peut annoter son texte à la marge, biffer des mots, les souligner, surligner… « Les mots raturés, corrigés, gribouillés dans la marge et tous les autres ajouts que vous faites […] sont une archive visuelle et tactile de votre travail et de votre processus créatif », souligne-t-elle. Et puisque la feuille est une surface en 3D, elle peut être déformée, pliée, découpée, agrafée, collée comme bon nous semble.

“Le fait de plier un modèle d’origami en classe possède un énorme potentiel ”

Clara Bustarret

Plier du papier, c’est d’ailleurs ce que propose à ses élèves Norma Boakes, professeure à l’Université Stockton dans le New Jersey. Elle s’est intéressée à l’usage de l’art japonais du pliage de papier, l’origami, dans les cours de maths. « Le fait de plier un modèle d’origami en classe possède un énorme potentiel », estime-t-elle16⁠. Elle voit au moins trois bénéfices. Primo, l’origami aiderait à améliorer la visualisation spatiale des élèves, c’est-à-dire qu’il leur permettrait de mieux projeter mentalement les formes géométriques. Secundo, parce que l’origami permet de représenter physiquement des notions mathématiques, les élèves plieurs de papier pourraient mieux comprendre et intégrer les concepts et termes techniques. Enfin, parce que voir naître une construction de papier sous ses doigts est plus divertissant qu’une simple vue de l’esprit, Norma Boakes suggère que grâce à l’origami, l’intérêt des élèves pour les maths et leur engagement en classe pourraient être boostés.

Alors que le digital pénètre progressivement la sphère éducative, le papier – inventé en Chine il y a plus de 2000 ans⁠17 – demeure l’outil d’apprentissage par excellence. Sur les bureaux ou dans les mains des étudiants et professeurs, dans les salles de classe et les amphithéâtres, le papier a plus que jamais sa place.

Voir toutes les notes
  1. NOTE 1https://www.zmescience.com/research/technology/smartphone-power-compared-to-apollo-432/
  2. NOTE 2https://freeportpress.com/why-print-still-matters-for-learning/
  3. NOTE 3

    Quand il s’agit d’un texte long. Pour un texte court, les préférences des étudiants ne penchent pas nettement d’un côté ou de l’autre.

  4. NOTE 4https://www.brandpointcontent.com/article/22202/paper-and-learning-remain-bound-together
  5. NOTE 5https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1747938X18300101
  6. NOTE 6https://blog.oup.com/2015/02/reading-on-screen-versus-paper/
  7. NOTE 7https://www.scientificamerican.com/article/reading-paper-screens/
  8. NOTE 8https://www.scientificamerican.com/article/reading-paper-screens/
  9. NOTE 9https://www.innovation-pedagogique.fr/article4863.html
  10. NOTE 10https://www.researchgate.net/publication/221409087_Investigating_the_acceptance_of_electronic_books_-_The_impact_of_haptic_dissonance_on_innovation_adoption
  11. NOTE 11https://www.washingtonpost.com/local/education/once-all-but-left-for-dead-is-cursive-handwriting-making-a-comeback/2016/07/26/24e59d34-4489-11e6-bc99-7d269f8719b1_story.html?utm_term=.027ff33a0df9
  12. NOTE 12https://www.scientificamerican.com/article/a-learning-secret-don-t-take-notes-with-a-laptop/
  13. NOTE 13https://www.eurekalert.org/news-releases/717379
  14. NOTE 14https://www.theguardian.com/science/2014/dec/16/cognitive-benefits-handwriting-decline-typing
  15. NOTE 15https://www.theguardian.com/science/2014/dec/16/cognitive-benefits-handwriting-decline-typing
  16. NOTE 16https://www.researchgate.net/profile/Norma-Boakes/publication/261027712_Origami-mathematics_lessons_Paper_folding_as_a_teaching_tool/links/562503e108aeedae57dace72/Origami-mathematics-lessons-Paper-folding-as-a-teaching-tool.pdf
  17. NOTE 17https://biology.illinoisstate.edu/jearmst/syllabi/rpaper/paper.htm
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