Paul John de Endless edition
Interview

Risographe, mon amour

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6 minutes de lecture 13 janvier 2021

La communauté RISO regroupe des milliers d’aficionados du risographe (ou duplicopieur), une solution d’impression inventée en 1984 par RISO KAGAKU CORPORATION.

Des créatifs de tout poil – artistes, imprimeurs, illustrateurs… – se sont approprié cette technologie sans pareille qui sert de vecteur à l’expression de leur talent.

Nous sommes allés à la rencontre de ces « risographistes » passionnés qui nous ont (virtuellement, pandémie oblige) ouvert la porte de leurs ateliers.

Pour découvrir leurs univers, suivez le guide !

Paul John – Endless Editions, New York, États-Unis

Comment avez-vous découvert la risographie ?

Au début des années 2010, j’étais apprenti à l’atelier d’impression Robert Blackburn1 où j’ai appris de nombreuses techniques d’impression, dont certaines méthodes traditionnelles : la sérigraphie, l’eau-forte, la taille d’épargne… En parallèle, j’étais bénévole au sein de Printed Matter2 (une organisation à but non lucratif dédiée à la production et distribution de livres d’artistes, NDR) où des tas d’artistes d’horizons différents étaient publiés : des ados de 18 ans qui faisaient leur zine punk, des jeunes diplômés qui se lançaient, des artistes déjà bien établis… Je trouvais trop cool que Printed Matter aide à produire toutes ces œuvres. Un jour, j’ai vu un livre dont le rendu me paraissait trop bon pour de la sérigraphie, mais trop naze pour une impression digitale. Il y avait des imperfections, mais des imperfections charmantes. J’ai demandé comment ça avait été fait. La réponse est venue sous forme de question : riso ? A l’époque, la riso n’était pas aussi populaire qu’aujourd’hui. C’était une sorte de mythe, un peu comme Bigfoot (rires).

Et à partir de là ?

J’ai cherché dans la boutique les autres livres faits par risographie et j’ai vu qu’on pouvait faire du noir et blanc, de l’impression deux couleurs, de la quadrichromie, du ton direct… Je me suis renseigné autour de moi et j’ai découvert qu’on pouvait dégoter des risographes pour pas cher.

La riso correspondait à mes besoins et mon budget : il m’en fallait une ! J’ai acheté ma première machine à l’été 2013. Il a fallu la faire rentrer dans ma petite voiture puis la monter dans les escaliers sur trois étages jusqu’à mon salon. Pas évident, parce qu’elle pèse plus de 100 kg. Mais ça valait le coup. Quelques mois plus tard, je montais mon propre studio avec mon ami Anthony Tino.

Qu’est-ce qui vous plaît dans la risographie ?

Ça n’a pas été facile, au début, de trouver le meilleur moyen d’utiliser la machine. C’était un outil trop grand pour moi. J’ai réalisé qu’il fallait en faire bénéficier le plus grand nombre de gens possible. Mon objectif fondamental avec la riso, c’est de saisir les moyens de production : tout faire à l’interne pour pouvoir éditer moins cher et plus vite sans avoir besoin de recruter des gens, en se partageant les tâches avec les artistes. La riso me permet de faire tourner une maison d’édition à moindre coût.

Quel est le concept derrière Endless Editions ?

Quand j’ai commencé à travailler dans le monde de l’art, j’ai réalisé qu’il fallait beaucoup d’argent et un réseau d’influence pour faire sa place. Quand on pense « art », on pense progrès, justice, équité, mais la plupart des gens qui bossent dans le domaine sont sous payés, surexploités et on s’attend à ce qu’ils travaillent bénévolement pour gagner de l’expérience ou se faire remarquer. Si on s’est lancés dans l’édition, c’est pour créer des opportunités pour tous les artistes, qu’ils soient reconnus, émergents ou marginalisés. Nous voulons que les gens réalisent qu’il n’est pas nécessaire d’avoir de l’influence, un statut social particulier, ou de l’argent pour avoir un impact. Il suffit d’une vision, d’un désir. Dans le monde de l’édition indépendante, le contenu est roi : si la matière est bonne, peu importe comment le livre est produit, il parviendra à trouver son public.

Comment fonctionne votre studio ?

Un peu comme une université libre. Des bénévoles nous rejoignent en résidence, puis on travaille ensemble sur leurs projets, ou ils avancent seuls s’ils préfèrent. Il n’y a pas de hiérarchie, pas de chef. C’est un écosystème créatif où l’on se soutient mutuellement.

Combien avez-vous de machines ?

J’en ai eu jusqu’à sept dans le studio. Aujourd’hui, nous n’en avons plus que trois et quinze couleurs.

Que publiez-vous ?

Essentiellement des livres d’artistes. On fait aussi parfois des tirages, des posters. Il nous arrive d’imprimer gratuitement des choses pour des activistes œuvrant pour la justice sociale et l’équité : des flyers de protestation, des appels aux dons, des outils de sensibilisation (droit au logement, réforme du cautionnement…).

Des projets qui vous ont marqués ?

Au début du studio, Ashley May est venue nous voir avec l’idée de transformer un GIF animé en livre. On a cherché une solution innovante – on ne voulait pas faire un flip-book – et 15 mois plus tard on a sorti Abecedarian3. Une autre des raisons qui m’ont poussées à monter mon studio c’est le manque de diversité. Bien qu’on en entende beaucoup parler de la volonté de promouvoir la diversité, peu de personnes de couleur étaient finalement publiées par des maisons d’édition tenues par des blancs. À ce titre, je suis particulièrement fier du livre que nous avons réalisé avec Kameelah Rasheed4.

Un mot sur la communauté riso ?

J’ai rencontré tellement de gens à travers la risographie aussi bien des super geeks que des créatifs moins axés sur la technologie. Le vendredi soir de la Foire aux Livres de New York, j’ai coutume d’inviter les amateurs de riso dans mon studio pour manger des pizzas et discuter. L’année dernière, spontanément, tout le monde s’est mis à utiliser les machines, à imprimer des trucs dans tous les coins. Une amie m’a demandé si ça me dérangeait. J’ai répondu : « J’ai complètement perdu le contrôle de mon studio, tout le monde dessine ensemble, s’échange des tirages… Et j’adore ça ! »

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