Urgence face à la pollution de l’air extérieur !
La pollution de l’air extérieur, une urgence de santé publique.
« L’air toxique que des milliards de personnes respirent chaque jour est le nouveau tabac1 ».
Cette phrase choc, nous la devons à nul autre que le directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Le Dr Ghebreyesus n’hésite pas à avancer que « la pollution de l’air est une urgence silencieuse de santé publique2 ». D’après l’OMS, respirer un air vicié cause près de 7 millions de morts chaque année, dont environ 4,2 millions sont dus à la pollution de l’air extérieur (et 3,8 millions à l’air pollué des lieux clos).
Des chiffres impressionnants, mais qui sont encore sous-estimés si l’on en croit une étude récente publiée dans Cardiovascular Research. Cette dernière fait état d’un bilan encore plus sombre : 8,8 millions de morts3 par an, soit un décès sur cinq dans le monde !
La pollution de l’air extérieur ferait perdre au global près de 3 ans d’espérance4 de vie, soit plus que les guerres ou le tabac. Pour Thomas Münzel, co-auteur de cette étude, « nos résultats montrent qu’il existe une pandémie de la pollution de l’air5 ».
Les énergies fossiles pointées du doigt
En juin 2016, Santé publique France estimait la pollution de l’air responsable de 48 000 décès par an, ce qui en faisait la deuxième cause de mortalité évitable du pays, derrière le tabac.
Une nouvelle étude de l’Université Harvard, concentrée exclusivement sur la pollution provoquée par les énergies fossiles (charbon, essence, diesel…), multiplie ce nombre de décès prématurés par deux pour atteindre quasiment 100 000 morts6.
En plus de produire du dioxyde de carbone (CO2, un des principaux gaz à effet de serre) et du dioxyde d’azote (NO2, polluant majeur de l’atmosphère), la combustion des énergies fossiles rejette quantité de particules de toute petite taille appelées PM10 et PM2,5, référence à leur diamètre inférieur respectivement à 10 et 2,5 micromètres. Les PM2,5, pas plus grandes qu’une bactérie, sont particulièrement dangereuses. Elles entrent profondément dans le système respiratoire, se logent dans les alvéoles pulmonaires ou pénètrent la circulation sanguine, ce qui cause une augmentation des risques de maladies respiratoires ou cardiovasculaires. Et il ne faut pas croire que seuls les pics de pollution sont à craindre : l’exposition chronique à ces particules est tout aussi, voire plus, néfaste.
« On parle souvent du danger de la combustion des énergies fossiles dans le contexte des émissions de CO2 et du changement climatique. On néglige les impacts sanitaires potentiels7. Nous espérons qu’en quantifiant les conséquences pour la santé de la combustion des énergies fossiles nous pouvons envoyer un message clair aux politiques et au grand public sur les bénéfices d’une transition à des sources alternatives d’énergie8 ».
Joël Schwartz, épidémiologiste et coauteur de l’étude.
Mais les énergies fossiles ne sont pas les seules responsables de la pollution de l’air extérieur. L’industrie, l’agriculture, l’incinération de déchets et le chauffage (en particulier celui au bois qui, à lui seul, émet 88%9 des particules fines issues du chauffage…) comptent parmi les coupables avérés.
Certains phénomènes naturels10 dégradent également la qualité de l’air. Les plus visibles sont sans doute les éruptions volcaniques et les vagues de sable du Sahara comme celles qui ont déferlé sur le sud de la France début 202111, donnant au ciel une teinte orangée.
En France, le premier confinement a freiné d’un coup sec de nombreuses activités polluantes : arrêt quasi total du trafic aérien, la circulation automobile très limitée, activité des usines fortement réduite… Le résultat ? Moins de particules fines rejetées dans l’air et 2 300 décès évités12, selon Santé publique France.
Pollution et Covid
Il y aurait également un lien à faire entre la pollution aux particules fines et l’épidémie de Covid-19. Selon Antoine Flahault, professeur de santé publique à l’Université de Genève : « Le rôle des concentrations élevées en particules fines dans l’air pourrait être l’un des facteurs déterminants majeurs tant de la transmission que de la gravité du Covid-19, Qu’elles soient d’origine naturelle comme le sable du désert ou anthropiques, les particules fines sont associées à des rebonds épidémiques de maladies respiratoires transmissibles, et notamment de Covid-19.[…] Il se peut que la pollution atmosphérique par des particules fines soit responsable d’aggravations de l’épidémie tant dans le nombre de nouvelles contaminations que d’hospitalisations de cas de Covid-1913. »
La pollution, facteur aggravant du Covid-19 ? Sans aucun doute répondent les auteurs d’une étude dans Cardiovascular Research, déjà citée plus haut. Car en plus de causer ou d’exacerber des maladies respiratoires ou cardiovasculaires, les particules fines présenteraient deux autres propriétés nocives : elles permettraient au virus de rester plus longtemps en suspension dans l’air14 et augmenteraient l’infectiosité du Covid en stimulant la protéine (ACE2)15 sur laquelle vient s’attacher le virus.
Le coût astronomique de la pollution de l’air extérieur
En 2015, la Commission d’enquête du Sénat a estimé le coût de la pollution de l’air entre 70 et 100 milliards16 d’euros par an.
Une autre étude, menée par l’Alliance européenne de santé publique, s’est particulièrement intéressée aux coûts pour les villes, aussi bien pour des métropoles géantes comme Londres que pour des communes moins peuplées telles que Montbéliard.
Pour calculer ces coûts, les chercheurs ont estimé « la valeur monétaire17 des morts prématurées, des traitements médicaux face aux affections les plus communes, des journées de travail perdues et des autres couts sanitaires causés par les trois polluants principaux : les particules, le dioxyde d’azote et l’ozone ».
L’ardoise, pour les 432 villes européennes étudiées, s’élève à 166 millions d’euros par an, soit près de 1300 € par habitant. En France, la pollution de l’air coûte environ 1000 € par an à chaque habitant, même s’il existe de grandes disparités. Le coût pour un Parisien culminera en effet à 1602 €, tandis que pour une Lyonnaise ce sera « seulement » 1134 € et même 559 € pour une Nîmoise !
Mais attention, la taille de la ville ne fait pas tout. À Marseille, qui compte près de 900 000 habitants, le coût avoisine les 900 €. Mais les Messins paient un tribut similaire alors qu’ils sont 7,5 fois moins nombreux que les Marseillais !
Retrouvez la liste complète des villes et des coûts associés ici.
Du mieux en Europe
La qualité de l’air s’améliore en Europe : c’est le constat que dresse l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) dans son dernier rapport. Basé sur les données officielles recueillies par 4000 stations de surveillance à travers le continent, le rapport indique que « depuis 2000, les émissions des principaux polluants atmosphériques, notamment les oxydes d’azote (NOx) issus du transport, ont considérablement diminué, malgré la demande croissante en matière de mobilité et l’augmentation connexe des émissions de gaz à effet de serre dans ce secteur18 ».
« Depuis 2000, les émissions des principaux polluants atmosphériques, notamment les oxydes d’azote (NOx) issus du transport, ont considérablement diminué… »
Les initiatives prises par l’Union Européenne et ses états membres pour lutter contre la pollution sont donc en train de porter leurs fruits. Mais il reste beaucoup à faire. L’AEE estime que plus de 77% des Européens sont exposés à des taux de pollution trop élevés, causant la mort prématurée de plus de 400 000 personnes19 chaque année.
La France à la traîne
Si la France a émis deux fois moins de particules fines en 2019 qu’en 2000, elle fait plutôt figure de mauvaise élève en Europe en matière de lutte contre les polluants de l’air.
La Cour de justice de l’Union Européenne, la plus haute juridiction de l’UE, a épinglé la France pour avoir « dépassé de manière systématique et persistante » les limites d’émission de dioxyde d’azote (NO2) depuis 2010 dans 12 villes dont Lyon, Paris et Marseille. Pour ces infractions répétées, la France risque une amende record de 100 millions d’euros.20
Même son de cloche du côté du Conseil d’État. Le 10 juillet 2020, la plus haute juridiction administrative française a enjoint le gouvernement à respecter les seuils de NO2 et PM10 fixés par la directive européenne sur la qualité de l’air ambiant sous peine d’une amende de 10 millions d’euros tous les six mois, soit 54 000 € par jour. Il s’agit du « montant le plus élevé qui ait jamais été imposé pour contraindre l’État à exécuter une décision prise par le juge administratif21 ».
Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, a fait de la qualité de l’air « une priorité absolue22 ». Un des éléments clés de sa stratégie pour réduire la pollution est l’instauration de zone à faibles émissions (ZFE) où bientôt ne pourront plus circuler les véhicules les plus polluants, identifiés par leur vignette Crit’Air. D’ici fin 2021, la France comptera 10 ZFE : Grenoble-Alpes Métropole, Grand Lyon Métropole, Grand Paris… L’objectif affiché est de déployer 45 ZFE en France d’ici 2024, couvrant ainsi la majorité des grandes villes de France. Au total, 12 millions de voitures23 (les véhicules diesel en première ligne) vont être impactés. « D’ici quatre ans, on aura baissé, par exemple à Paris, de 40% la pollution de l’air », confiait Barbara Pompili24.
La question de l’air intérieur
Les moyens de transports propres et respectueux de l’environnement – ce qu’on appelle la mobilité douce – s’imposent de plus en plus comme une alternative intéressante à la voiture individuelle.
Un vélo, par exemple, ne pollue pas et même participe au maintien en santé du cycliste qui doit faire un effort physique pour se mouvoir. Oui mais voilà : à vélo dans une grande ville, on respire les gaz d’échappement des voitures, bus et camions qui nous précèdent et nous entourent. Est-ce qu’on n’est pas mieux protégé de cet air vicié dans l’habitacle d’une voiture ?
Eh bien pas du tout : les polluants s’accumulent dans l’habitacle confiné de la voiture, alors qu’à pied ou en vélo on peut respirer un air sans cesse renouvelé. On peut aussi s’éloigner des pots d’échappement en prenant un autre chemin. En Auvergne-Rhône-Alpes, une application permet même de déterminer l’itinéraire qui vous permettra d’arriver à destination en évitant les zones les plus exposées à la pollution.
« Le piéton est deux à cinq fois moins exposé que l’automobiliste à la pollution. […] »
Selon Karine Léger adjointe au directeur d’Airparif25, l’association de surveillance de la qualité de l’air en Ile-de-France, « le piéton est deux à cinq fois moins exposé que l’automobiliste à la pollution. Le vélo va se situer entre les deux, et plus il prendra des voies avec aménagements, plus il se rapprochera de l’exposition du piéton ».
Car la voiture est une sorte de « piège à polluants » : les polluants de l’habitacle se mêlent à la pollution de l’air extérieur qui pénètrent par les entrées d’air. Mais alors, que faire ? « Dans un lieu clos (tunnel, parking souterrain…), dans un bouchon ou derrière un véhicule polluant, mieux vaut fermer les fenêtres et couper l’arrivée d’air extérieur. En dehors de ces circonstances, il vaut mieux aérer pour renouveler l’air de votre véhicule », conseille l’Observatoire de la qualité de l’air de la région PACA26.
En vérité, il n’y a pas qu’en voiture que l’air intérieur est de moins bonne qualité que l’air extérieur. C’est le cas dans la plupart des espaces clos : logements, bureaux, écoles, bâtiments publics… L’air y est parfois jusqu’à 10 fois plus pollué !
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter notre dossier sur la qualité de l’air dans les écoles.
- Note 1https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/la-pollution-de-l-air-est-le-nouveau-tabac-previent-le-directeur-de-l-oms_3006393.html
- Note 2https://www.iass-potsdam.de/en/output/dossiers/air-pollution-and-climate-change
- Note 3https://www.huffingtonpost.fr/entry/la-pollution-de-lair-tue-plus-que-le-tabac-les-guerres-ou-le-sida-selon-cette-etude_fr_5e5d3a53c5b67ed38b3640aa
- Note 4https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32123898/
- Note 5https://www.estrepublicain.fr/france-monde/2020/03/03/la-pandemie-de-la-pollution-de-l-air-reduit-l-esperance-de-vie-de-3-ans
- Note 6https://www.liberation.fr/environnement/pollution/un-deces-sur-cinq-serait-du-a-la-pollution-de-lair-par-les-energies-fossiles-dans-le-monde-20210209_BUCV5IVZXBHW7C5SCDQGMBACBA/
- Note 7https://www.linfodurable.fr/environnement/la-pollution-liee-aux-energies-fossiles-responsable-dun-deces-sur-5-23905
- Note 8https://www.liberation.fr/environnement/pollution/un-deces-sur-cinq-serait-du-a-la-pollution-de-lair-par-les-energies-fossiles-dans-le-monde-20210209_BUCV5IVZXBHW7C5SCDQGMBACBA/
- Note 9https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/12/09/la-pollution-de-l-air-en-9-questions_5046076_4355770.html
- Note 10https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/focus-sur-la-qualite-de-lair
- Note 11https://www.ledauphine.com/environnement/2021/04/25/des-remontees-de-sable-du-sahara-attendues-sur-le-sud-de-la-france
- Note 12https://www.lavoixdunord.fr/982037/article/2021-04-14/pollution-de-l-air-2300-deces-evites-grace-au-confinement-du-printemps-2020
- Note 13https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/03/06/covid-19-les-pics-de-pollution-aux-particules-fines-soupconnes-de-jouer-un-role-dans-le-rebond-epidemique_6072189_3244.html
- Note 14https://www.la-croix.com/Monde/Europe/pollution-lair-autoroute-propagation-coronavirus-2020-03-23-1201085546
- Note 15https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/11/03/covid-19-la-mauvaise-qualite-de-l-air-facteur-de-risques-supplementaires_6058298_3244.html
- Note 16https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques-reduire-pollution-lair
- Note 17https://www.respire-asso.org/pollution-de-lair-coute-presque-1000-euros-par-an/
- Note 18https://www.eea.europa.eu/fr/highlights/nette-amelioration-de-la-qualite
- Note 19https://www.eea.europa.eu/fr/highlights/nette-amelioration-de-la-qualite
- Note 20https://www.lesechos.fr/politique-societe/gouvernement/pollution-de-lair-la-france-sexpose-a-une-amende-de-100-millions-deuros-1286846
- Note 21https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/07/10/pollution-de-l-air-l-etat-condamne-a-une-astreinte-de-10-millions-d-euros-par-semestre-pour-son-inaction_6045863_3244.html
- Note 22https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/12/03/pollution-de-l-air-la-commission-europeenne-accentue-la-pression-sur-la-france_6062068_3244.html
- Note 23https://www.bfmtv.com/auto/pourquoi-des-millions-de-voitures-ne-pourront-bientot-plus-rouler-dans-les-grandes-villes_AN-202104100175.html
- Note 24https://www.bfmtv.com/auto/pourquoi-des-millions-de-voitures-ne-pourront-bientot-plus-rouler-dans-les-grandes-villes_AN-202104100175.html
- Note 25https://sante.lefigaro.fr/actualite/2009/02/18/9431-paris-moins-pollution-velo-que-dans-voiture
- Note 26https://www.atmosud.org/article/la-pollution-linterieur-des-vehicules